Réalisé par Guy Édoin
Avec Pascale BussièresLuc PicardFrançois Papineau et Angèle Coutu

Santerre, les pieds dans le foin

On est dans les eaux troubles, c‘est le cas de le dire. C’est un été trop chaud et trop sec. Dans un marécage, on s’empêtre… Et puis, il n’y a pas assez d’eau…

Ça se passe au village québécois de St-Armand, dans la ferme laitière des parents du réalisateur. On ne se peut pas plus authentique.

Bussières tracteur
Pascale Bussières

Les personnages principaux sont des agriculteurs. Il s’agit d’un homme, Jean Santerre (Luc Picard), à qui appartiennent des terres passées de génération en génération, son épouse, Marie (Pascale Bussières) et leur adolescent de 15 ans (Gabriel Maillé).

Ils s’appellent Santerre. Ils ont de la terre sous les ongles, mais à la fin du film, ils sont juste sans terre… Ce détail, ce choix de nom de famille, n’est pas innocent; il pose les bases d’une histoire d’humilité et de déconnexion entre l’homme et la terre qui le nourrit, dans un monde industrialisé où la production alimentaire doit être rentabilisée.

Dès les premières scènes, on est dans l’organique. Un premier gros plan sur le DNA du jeune, projeté sur la feuille d’un arbre. Un deuxième sur le bras droit de Pascale Bussières inséré tout entier dans le vagin d’une Holstein, qui tâtonne là-dedans et détermine que le veau doit sortir de là d’urgence. Troisième scène : Bussières et Picard extirpent le veau avec des forceps deux mètres de long. On vient d’assister, la mâchoire à terre, à une vraie mise bas au cinéma.

On est dans la machinerie lourde et le flatbed pickup. Dans le foin et la bouse de vache, les stock cars et la danse en ligne. Dans la sueur et la rudesse de la vie rurale. Faut dire que la scène est entièrement vraie. Vraie vache, vrai veau, vrai placenta, etc. C’était saisissant de vérité, d’autant plus que « l’opération » est effectuée par des acteurs!

« Finalement, c’était assez naturel ; j’ai déjà accouché, on est en terrain connu…! » — Pascale Bussières

Luc Picard

Le film continue dans cette même veine. On n’a pas besoin de beaucoup de paroles pour exprimer sa détresse, ses désirs. Picard est merveilleux comme toujours en livrant avec beaucoup d’empathie un personnage sensible, chaleureux, et très humain qui souffre beaucoup de la précarité de le la vie de l’agriculteur, de sa dépendance sur la météo, les récoltes, l’accès à l’eau sur les terres, les finances… Malheureusement, il n’est pas à l’écran très longtemps.

Pascale Bussières entre parfaitement dans la peau de l’agricultrice obligée de vivre non seulement avec le deuil (de son mari, de sa ferme en faillite) mais avec les avances peu gracieuses d’un homme du village (François Papineau) qui cherche à prendre la place du mari.

Gabriel Maillé

Les personnages secondaires sont tout aussi intéressants. Le fils (Gabriel Maillé) est de toutes les ambigüités. Il n’a rien d’un fermier, ne s’intéresse ni à la ferme, ni à en devenir l’héritier. Maladroit et irresponsable, son personnage indique un malaise sous-jacent qui amène une lueur sombre à la situation générale, comme un courant malsain. D’ailleurs, à la fin, l’équilibre se rétablit-il vraiment…? Puis, la grand-mère lesbienne (la digne Angèle Coutu) semble soutenir l’ambivalence sexuelle du petit qui a un penchant pour un garçon du village voisin.

Le tout sans trame musicale — juste les sons organiques déjà présents dans les champs (les mouches, les oiseaux, le feuillage dans la brise) — Marécages est un film qui dessine lentement, avec très peu de textes, une fresque rare de la vie rurale au Québec. C’est beau, et c’est difficile.

La chute dramatique tombe à plat

Néanmoins, le spectateur aimerait qu’on aille plus profondément dans le drame humain que représentent ces difficultés, ces malaises. En particulier, pour celle qui écrit ces lignes, la scène où la mère confronte son fils tombe à plat. Elle vient de lâcher sur son ado de 15 ans des paroles qui couperaient le souffle à un buffle, mais on ne va pas dans les profondeurs abyssales d’une telle chute dramatique, même sur le seul plan de la culpabilité qui en découlerait logiquement, d’un côté comme de l’autre.

Guy Édoin

Comme dans Incendie, où (dans la scène de l’hôpital où les jumeaux apprennent leur vérité) Villeneuve à stoppé net plutôt que de plonger là où le commun des mortels serait tombé d’émotion, on perçoit aussi une certaine pudeur chez Édoin, une hésitation devant le gouffre de ses propres tripes. Mais il faut souligner le fait que Guy Édoin en est à son tout premier long métrage…

Days of Heaven, The Tree…

Néanmoins, Marécages est un très beau film, fait de silences, d’intériorité, et d’images exprimant l’ampleur et la richesse de de la terre agricole au Québec. Quelques-uns ont évoqué le film de Terrence Malick, Days of Heaven (1978), situé sur une ferme au Texas en temps difficile. Mais à la sortie du film je n’étais pas la seule à me souvenir d’un autre film, paru sur nos écrans plus tôt cette année : The Tree de Julie Bertuccelli, avec Charlotte Gainsbourg. Dans ce film, on avait capté les grandioses étendues de fermes d’élevage en Australie. Là aussi, le public apprend la personnalité particulière des gens de la terre qui vivent avec l’incertitude d’une nature intransigeante, et qui puisent leur bonheur dans les choses simples et rudimentaires. Dans les deux films, la notion du deuil s’ajoute au fardeau de la survie en terrain hostile et, malgré tout, combien complémentaire à la nature humaine…

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J’ai eu le privilège de discuter un peu avec Pascale Bussières après la projection en première montréalaise au Cinéma Impérial. Elle parle ici du jeu d’acteur, d’être « sur le fil de fer, perméable », lorsqu’il y a peu de texte dans un scénario… (désolée pour la qualité de la vidéo — les dons en équipement sont chaleureusement acceptés…!)

Votre rédactrice Sophie Pascal, avec Pascale Bussières, à la première montréalaise de Marécages, au Cinéma Impérial.

SP