On est à Montréal. Décembre 2023. C’était mon tour. On se la passe allègrement, la puck COVID, ces temps-ci d’embrassades et de joie de fin d’année.

Mais je veux surtout vous raconter une anecdote.

Voyez les deux lignes? Il y en a une plus grasse et l’autre est presque invisible. Je me suis demandée s’il s’agissait d’un “faux positif”.

Croyant ma question légitime, j’appelle le 811, ligne dédiée à toute question d’ordre médical au Québec. Je tombe sur un enregistrement qui annonce un temps d’attende de 45 minutes. C’est déjà long, mais je reste en ligne.

Une heure passe.

Je fais autre chose, je me coule un bain, je réponds à mes courriels, j’amène le téléphone sans fil avec moi d’une pièce à l’autre en mode haut-parleur pour ne pas manquer ce moment d’extase où j’entendrais une voix humaine à l’autre bout du fil.

Puis une autre.

Je commence à me demander si c’est si important que ça que je le sache, finalement, si mon test est bon ou non, parce que je viens de perdre deux heures de ma vie, là. Je me sens assez malade, je dois bien l’avoir, le COVID, puis basta. Mais j’ai la tête dure alors je m’acharne, pour voir jusqu’où elle ira, la rigolade. Après deux heures, tu fredonnes par coeur la petite musique qui passe en boucle pour t’aider à patienter. J’ai une petite pensée pour la maman qui appelle le 811 ce soir et qui a besoin de savoir si son fils fait une réaction normale à son vaccin ou s’il fait une crise d’asthme.

Au moment où frappait l’heure 3, la voix d’une femme cassait enfin la prévisibilité de l’expérience.

— Bonjour, comment puis-je vous aider?

OMG. Tu es toute contente, mais en même temps tu n’en reviens pas d’avoir attendu TROIS HEURES, pendue au téléphone pour avoir la réponse à une toute petite question. Alors tu en fais part à l’infirmière qui elle n’a pas de patience pantoute pour les gens qui n’en reviennent pas d’avoir perdu leur temps pour obtenir un service de leur système de santé. Parce qu’elle aussi elle en a marre d’être la seule au poste pour répondre à 2-3 millions de citoyens sans médecins de famille qui toussent, qui ont mal quelque part et qui savent pas quoi faire. “Dites-le au gouvernement!”, elle s’énerve. Rappel qu’on est en pleine grève généralisée dans le secteur publique et qu’on négocie dur sur les conditions de travail. Oui madame, je lui dirai.


Anecdote dans l’anecdote: J’avais mis en vente une paire de bottes d’hiver, une fille m’avait répondu, elle est intéressée mais elle travaille en tant qu’infirmière à l’hôpital Jean Talon et veut passer très tôt le matin, genre 8h15 parce qu’elle travaille de 15h30 à 8h. Moi d’emblée je vois un shift de 8 heures, je sais pas compter. Mais non, c’est DEUX quarts de travail, ça, l’un après l’autre. Je lui avais demandé si c’était ça le fameux TSO, le temps supplémentaire obligatoire dont on parle aux nouvelles. Elle m’avait répondu:

“Ma chef m’a demandé si je pouvais remplacer la collègue manquante de 16h a minuit, j’ai accepté mais si j’avais refusé oui, il y aurait eu un TSO pour une des filles de jour. Au lieu de terminer à 16h elle aurait dû rester jusqu’à minuit pour compléter le manque.”

Autant dire que tu refuses pas le temps supp quand on te le demande. Puis elle me raconte qu’elle habite Hochelaga — à 45 minutes en métro vers l’est de la ville — et qu’elle va dormir 3h et demi avant de repartir demain pour une autre journée pareille et que si je voulais elle essayerait de se lever plus tôt pour passer chez moi avant…

Il n’y avait pas question que je demande à cette fille de dormir une minute de moins, le soir-même je lui amenais les bottes à l’hôpital pendant sa pause, même le COVID dans le corps (c’est bien là qu’il faut être malade, non). On s’étaient rencontrées devant les portes de l’urgence, le temps qu’elle enfile les bottes et me fasse un virement. Puis elle est vite repartie faire son shift aux soins intensifs. Je me suis demandée, mais comment ils font??


Retour à ma vaillante infirmière, que je dois couper avant qu’elle ne termine sa phrase “et si vous êtes pas contente, madame…” parce que tu veux vraiment pas qu’elle te ferme la ligne au nez.

Je lui raconte ma petite histoire de lignes pas égales. Elle me confirme que deux lignes c’est deux lignes, t’as la COVID that’s it.

Merci.

Ça m’a pris TROIS HEURES, et TROIS SECONDES pour avoir cette réponse.

Je me suis sentie orpheline d’un système de soins de santé digne de ce nom. Je me suis demandée, dans d’autres pays, sociétés civilisées, organisées, modernes et avancées, est-ce possible, vraiment, qu’un citoyen attende TROIS HEURES au téléphone pour que quelqu’un lui réponde? Au télé-journal du soir on apprend que les gens meurent dans les urgences au bout de leur maux parce qu’ils n’ont pu recevoir le moindre soin. Parlons pas des chirurgies qui sont reportées pendant des années. Oui on a de la chance d’avoir un système de santé payé par l’État. Mais… c’est quoi qui se passe? Y’a du sable dans l’engrenage là.

Pour l’instant tu t’arranges pour ne pas être malade, ou tu révises tes remèdes de grand-mère parce que l’autosuffisance, ça commence à avoir de l’allure.

#santéquébec,